Daniel s’en est allé ! Le monde des meetings est en deuil et le Morane est orphelin ! Daniel Koblet, pilote et mécanicien suisse, était l’homme du MS 406 ou plutôt de sa version helvétique, le D 3801 le dernier au monde en état de vol, qu’il chérissait.
Daniel nous a quittés en ce mardi 14 janvier, à la suite d’une courte mais fulgurante atteinte pulmonaire qui ne lui a laissé aucune chance… il avait 60 ans. Né dans une famille d’aviateurs depuis deux générations, Daniel dès 17 ans, s’essaya au vol à voile sur l’aérodrome de Bex, initié par son grand-père qui fonda le club vélivole de Winthertür (Suisse Alémanique), non loin de Zürich. Doué aux commandes et avec un sens inné de l’aérologie, il s’inscrivit et participa rapidement aux compétitions régionales avec un certain succès. Mais pratiquer l’aviation seulement pour ses loisirs ne lui suffisait pas, il allait en faire sa vie et son métier ! Adroit et curieux des choses mécaniques, il sera mécanicien. Chez Pilatus tout d’abord, le célèbre avionneur, où il apprend le métier dans ses plus intimes retranchements. Dès qu’il pose ses outils, il s’installe au manche des avions les plus divers… Les machines anciennes le passionnent surtout, moins sophistiquées que les avions modernes, il peut y exercer ses talents de mécanicien, un métier dans lequel il excelle désormais. De là à prendre les commandes de ces appareils convalescents pour effectuer essais et réglages, il n’y a qu’un pas, que Daniel franchit le plus souvent, avec délectation…
Son pilotage s’affine dans le même temps que sa notoriété auprès des collectionneurs grandit. Il devient au fil du temps le spécialiste reconnu dans le monde de l’aviation ancienne, une réputation qui dépasse les frontières puisque Aérorétro, association Drômoise, l’emploie fréquemment lorsqu’il s’agit de travaux délicats. C’est ainsi qu’il travaille notamment à la remise en état de vol du P51 Mustang « Jumpin’Jacques », qui fit les beaux jours de l’association basée à Saint Rambert d’Albon, pendant quelques années. Tout d’abord implanté sur le terrain d’Yverdon, Daniel fonde Mobile Air Service, son propre atelier, qu’il déplace en 1986 sur l’aérodrome de Bex, tout proche de chez lui. Toutes les spécialités indispensables à la restauration de machines anciennes y sont exercées et les travaux de tôlerie, chaudronnerie, soudure menuiserie, entoilage, sellerie, électricité et hydraulique, rythment le quotidien.
Si ce quotidien justement lui permet de « faire bouillir la marmite », c’est à l’aventure débutée, il y a maintenant 20 ans avec la remise en vol du dernier Morane 406 que son nom sera définitivement associé. Reconstruit à grands frais et plus de 10 000 heures de travail par un passionné, à partir de 3 cellules différentes et autres morceaux de Morane 406 (en réalité des D-3800 et D3801 construits sous licence en Suisse par l’usine EKW en 1942), cette épopée pourtant menée par des orfèvres, ne pourra aboutir faute de moyens et l’avion inexploitable en l’état. Il sera vendu à un médecin pilote originaire de Lausanne qui compte bien venir à bout de ce challenge en créant l’Association Charlie Fox, destinée à terminer l’ouvrage et refaire voler la machine. Daniel sera l’homme de la situation et sur la table d’opération de Mobile Air Service, il ressuscitera ce dernier représentant de l’avion emblématique de la Bataille de France…
Ainsi depuis le tout début des années 2000, alors que nous entrions dans le second millénaire, un appareil mythique du siècle précédent ; le MS 406/D-3801 HB – RCF , tout d’abord décoré aux couleurs d’un avion d’un escadron français et piloté de main de maître et tout en douceur, dans l’intime et plus profond respect de la mécanique, par celui qui lui a redonné vie, fait le bonheur des organisateurs de meetings en Europe.
Mais Daniel n’était pas qu’un excellent pilote et un mécanicien de génie, il était homme de convictions, de savoir et de valeurs, peu avare de transmission de sa culture aéronautique et de sa pratique du pilotage. Expert auprès de l’Office Fédéral de l’Aviation Civile Suisse (équivalent de la DGAC Française), il était régulièrement consulté pour des dossiers techniques.
Discret et parfois bourru dans l’approche de son prochain, volontiers goguenard aussi envers ceux qui ont pour pratique « d’étaler leur science » dans le but d’exister, il était aussi celui pour qui le culte de l’amitié n’était pas un vain mot. Tous les amis qui l’ont accompagné lors de la cérémonie d’adieu, le vendredi 17 janvier dernier, le lui rendaient bien.
Philippe Chetail